vendredi, décembre 30, 2005

L'argent s'apprend - L'argent n'est pas qu'une histoire de grandes personnes!

Dans notre société, les adultes ont du mal à trouver la juste attitude face à des enfants et à des jeunes subjugués par l’argent et tout ce qu’il permet. Faut-il leur donner l’argent qu’ils réclament ou s’en tenir à une petite somme régulière pour leur apprendre à tenir un budget ? Pour vivre comme leurs copains, il leur faudrait toujours plus d’argent : faut-il l’accepter ? Il n’est pas aisé de savoir s’il faut rétribuer un service, récompenser de bons résultats scolaires. Encore moins de leur transmettre le sens de la valeur de l’argent et les éduquer à un certain partage des biens !

Ce sujet a été abordé par différents professionnels, parmi lesquels j’ai été intéressée par le point de vue de Daniel Lambert (psychologue) et celui d’Edith Tartar-Goddet, (psychosociologue) qui répondent à des questions dont chacun d'entre nous peut se les poser concernant ce sujet.

Devrait-on donner de l'argent de poche à nos enfants?
Daniel Lambert (psychologue)

Premièrement, il faut bien dire que cette question fait appel à la fois à nos valeurs comme parents et à celles que nous voulons transmettre à nos enfants. Pour cette raison, nous devons nous interroger sur les motifs qui nous pousseraient à répondre « oui » ou « non ».

Avons-nous les moyens financiers de leur en offrir?

Désirons-nous offrir de l'argent à nos enfants parce que nous sommes fatigués de les entendre dire " les autres en ont eux !"?

Si nous en avons les moyens financiers, l'argent peut servir à inculquer à l'enfant des notions telles l'épargne, l'appréciation du travail bien fait, l'entraide, se faire plaisir, la gestion d'un budget. Si ces notions vous paraissent importantes, donner de l'argent de poche à vos enfants constitue un moyen de développer ces habiletés chez lui.

À quel âge est-ce que les parents qui le désirent, devraient donner de l'argent de poche à leurs enfants?

Ici, je serais porté à répondre d'attendre que le besoin vienne de l'enfant, c'est-à-dire qu'il commence à demander de l'argent pour s'acheter des choses. Ses demandes sont au moins un signe que l'enfant a compris qu'il avait besoin d'argent pour se procurer des objets. Pour apprendre à l'enfant des notions d'épargne, chose que nous voulons souvent faire en offrant de l'argent de poche, l'enfant doit au moins savoir compter, sinon, comment pourra-t-il arriver à saisir que s'il dépense X il ne lui restera que Y et que dès lors il devrait s'assurer qu'il désire bien acheter ceci plutôt que cela, ou qu'il devrait peut-être garder son argent pour s'acheter quelque chose de plus gros plus tard?

Et si l'argent de poche n'apprend rien à l'enfant, à part le fait qu'il peut se payer des bonbons, quel est l'utilité de lui en donner?

Devrions-nous exiger que l'enfant fasse certaines tâches en retour de l'argent de poche?
Encore ici, que voulons-nous inculquer à nos enfants? Personnellement, je considère que mon rôle est de le préparer au monde qui l'attend et dans le monde que je connais, on ne donne pas d'argent à quelqu'un sans qu'il ait effectué un quelconque travail pour nous, à moins qu'il s'agisse d'un cadeau pour une fête ou une occasion spéciale. Et vous, comment voyez-vous votre rôle de parent?

Y a-t-il des choses qu'on ne devrait pas rémunérer?

Je le crois. Imaginez une activité qui plaît beaucoup à l'enfant, un sport par exemple. Il serait inutile, voir même nuisible d'offrir de l'argent à l'enfant pour ses performances. Le risque? Que l'enfant en vienne à jouer pour obtenir de l'argent alors qu'auparavant il jouait pour le plaisir. Qu'adviendrait-il s'il n'obtenait plus d'argent? Il risquerait de perdre l'intérêt pour quelque chose qui lui plaisait beaucoup avant…

De même, selon vos valeurs, vous pourriez juger que certaines tâches vont de soi avec l'âge de l'enfant et ne devraient pas être rémunérées. Par ailleurs, vous pourriez tout aussi bien juger que toutes les tâches sont monnayables. Il faudrait alors soit s'assurer que nous pourrons toujours payer si les enfants les exécutent, ou risquer de voir l'enfant refuser de le faire si l'argent ne vient pas par la suite… Tout dépend encore une fois de ce que nous voulons inculquer à l'enfant comme valeurs.

Y a-t-il d'autres moyens que l'argent pour inculquer à l'enfant des notions telles l'entraide, le travail bien fait, etc.?

Bien évidemment. En y pensant bien, pour l'enfant l'argent n'est rien d'autre qu'un moyen d'obtenir quelque chose que lui fait plaisir. Alors en réfléchissant à ce qui pourrait faire plaisir aux enfants, nous trouverons une multitude de façons de récompenser l'entraide, le travail bien fait, etc., et ce, sans nécessairement parler d'argent. La preuve? L'enfant qui est trop jeune pour connaître l'argent et qui ne la désire donc pas, peut quand même accomplir des tâches pour nous, pour nous faire plaisir, pour obtenir certains privilèges (une promenade dans le bois avec papa et maman, une heure de coucher plus tardive, le privilège d'inviter un ami à coucher chez lui, ou celui de pouvoir dormir chez un ami, etc.).

Bien sûr, plus l'enfant grandit, plus le désir de se procurer des choses risque d'augmenter. Ici comme ailleurs, comme parents nous devons nous connaître, connaître nos valeurs et pouvoir les expliquer à l'enfant - l'adolescent afin qu'il puisse comprendre nos décisions en rapport avec l'argent de poche ou tout autre sujet.

"Il faut éduquer l'enfant dans sa représentation de l'argent"
Edith Tartar-Goddet (psychosociologue)


Donner de l'argent de poche, est-ce que c'est bien ?

C'est très difficile à dire, car nous sommes tous renvoyés à notre propre représentation de l'argent. Chacun a sa propre histoire, sur lequel il va bâtir son attitude vis-à-vis de ses enfants. C'est donc une question singulière. Personnellement, je fais partie des personnes qui se représentent l'argent comme quelque chose que l'on gagne à la sueur de mon front, qui ne tombe pas du ciel, ni en cadeau ni en gros lot. Dans ma conception, l'argent de poche ne peut donc être que donné en fonction des besoins. A la limite, il est le résultat d'un contrat avec le jeune.

Faut-il donc mettre des conditions à l'obtention de l'argent de poche ?

Pourquoi pas ? Si je travaille bien chez mon employeur, il est content de moi et peut donc me donner une prime. Mais je pense surtout que l'argent doit être en lien avec des besoins. L'argent, ce n'est pas un besoin en soi : seulement une manière de satisfaire des besoins. L'argent qu'on empile sans but, ça n'a pas de sens. Je crois qu'il est important de le rappeler à l'enfant, sinon il va s'embarquer dans une quête vaine de chercher de l'argent uniquement pour l'argent.

Quelle conception les jeunes ont-ils de l'argent ?

Les plus jeunes adolescents sont extrêmement manipulables. Ils ont un tel désir d'être semblables au groupe de pairs, qu'ils n'ont pas le sens du rapport qualité/prix. A la limite, mettre 300 euros dans une paire de chaussures ne leur pose pas de problème. Les parents ont donc aussi à éduquer le jeune dans sa représentation de l'argent. Rendez-vous compte : je connais des jeunes qui, lorsque leurs parents expliquent "c'est trop cher, je n'ai pas les moyens" répondent " ben, va chercher de l'argent à la banque " comme si la banque était un puits sans fond !

C'est donc une question d'éducation…

Bien sûr. Tenir un budget permet de se rendre compte qu'une fois que la somme est épuisée, elle ne se renouvelle pas. En même temps, il faut aussi apprendre au jeune que l'argent ne sert pas qu'aux sorties et aux loisirs, mais qu'un budget sert aussi à payer des choses nécessaires. Il est donc bon que les adolescents puissent gérer, avec leur argent de poche, un certain nombre de choses. Il faut par exemple prévoir avec le jeune qu'avec leur argent de poche, il devra par exemple s'acheter ses fournitures scolaires, ses vêtements, son transport, ses partitions de musique… De plus, cela développera son autonomie.

A partir de quel âge peut-on donner de l'argent de poche ?

Je crois qu'avant la pré-adolescence (10-11 ans), donner de l'argent à l'enfant pour qu'il achète ce qu'il veut, c'est le préparer à être un bon petit consommateur docile. Vers l'entrée au collège, il commence à avoir la maturité nécessaire pour mieux comprendre, et en même temps il devient aussi assez grand pour qu'on puisse le laisser aller dans les magasins pour participer à ces dépenses qui font partie de sa vie d'élève (racheter un classeur…)

Faut-il donner une somme fixe ou à la demande ?

L'important, c'est surtout de donner en fonction des besoins. Pour quelle raison veut-il cet argent ? Est-ce une raison pertinente, en a-t-il vraiment besoin ? Tout doit être réfléchi et argumenté avec le parent. Le risque aujourd'hui, ce sont les parents qui ont peu de disponibilité à l'écart de leurs enfants, et qui vont compenser ce manque en donnant beaucoup trop d'argent de poche. On voit parfois des quantités d'argent effarantes. Comme ces jeunes collégiens qui partent en voyage scolaire pour quelques jours, et à qui les parents donnent 150-200 euros en guise d'argent de poche pour le séjour ! Il est donc important que les parents, avant de donner de l'argent, réfléchissent au sens de ce don. Est-ce que c'est parce que mon enfant en a besoin pour acheter quelque chose de nécessaire ? Ou bien est-ce pour le faire dépendre de moi ? Ou pour compenser l'amour que je ne lui donne pas ?

Que pensez-vous des petits boulots ?

Beaucoup de bien. Il faut encourager le jeune à travailler lors de petits jobs. Je pense que c'est vraiment une nécessité aujourd'hui, pour le préparer au monde du travail, pour l'aider à s'adapter plus tard. Il ne faut pas l'entretenir dans son oisiveté. Et, si les parents ont un droit de regard sur l'argent de poche - puisqu'il est donné - ils n'en ont pas sur l'argent gagné, que l'enfant doit pouvoir utiliser à sa guise.

Que faire quand l'enfant fait des reproches à ses parents et se plaint d'être moins bien rémunéré que ses copains ?

C'est de la manipulation de la part du jeune. Le parent ne doit pas être influencé ou déstabilisé par ce genre d'arguments. Je pense particulièrement aux parents dont les moyens financiers ne sont pas très élevés. Ces parents-là vont parfois faire des efforts monstrueux, se priver eux-mêmes, pour acheter au jeune des affaires de marque, pour qu'on "ne le prenne pas pour un pauvre". Je crois qu'il y a une très grande souffrance sur cette question aujourd'hui. Les parents doivent essayer de déterminer si le reproche du jeune est fondé, s'il est de l'ordre de la nécessité (physique ou psychologique), ou du superflu. Ensuite, il faut expliquer à l'enfant que chaque famille fonctionne différemment, que chacun a des budgets et des manières de vivre qui sont différentes. "Nous, on vit comme ça ; un jour, toi tu décideras de comment tu veux vivre… quand tu gagneras ta vie."

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